:: RÉPONSE à "AMATEUR OU PROFESSIONNEL ?" ::

Monsieur Laurini,

Il y a des choses qui me dérangent et d’autres qui m’embêtent...


Commençons par ce qui m’embête: votre article
"Amateur ou Professionnel ?". Vous signez là un pamphlet qui me rend triste.

Tentation de reprendre brièvement quelques traits de votre argumentation :

« L’amateur n’a pas de fiche de salaire. »

- Pourtant, l’article L.762 du Code du Travail précise : tout contrat par lequel une personne physique ou morale s'assure moyennant rémunération, le concours d'un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail. Cela implique au moins deux choses: un lien de subordination employeur/employé et l’établissement en règle d’une fiche de paie. Une société de production ou une associations détentrice d’une licence d’entrepreneur de spectacle (accordée par le ministère de la culture) peut servir « d’intermédiaire ». La fiche de salaire n’est donc pas un signe distinctif, elle est au contraire le premier dénominateur commun entre l’amateur et le professionnel. « Les intermittents du spectacle sont en fait des chômeurs longue durée » Pour rappel, est considéré comme chômeur de longue durée, celui qui n’a pas occupé d’emploi depuis plus de trois ans. Rien à voir avec le statut d’intermittent (qui n’est d’ailleurs pas propre aux gens du spectacle.) Obtenir 43 cachets n’est en aucun cas, je pense, une finalité.
Seulement l’assurance de pouvoir compenser une précarité d’emploi particulière. On peut reprocher à un État d’aider celles et ceux qui font le choix de cette vie. Pour ma part, je suis plutôt rassuré de savoir que ce pays encourage la diversité culturelle ; qu’il apporte son soutient au cirque, au théâtre, à la danse ou encore au cinéma. J’y vois là un signe de bonne santé. La notion du temps de travail.

- La comparaison avec l’apprenti coiffeur semble de prime abord amusante. Si j’ai décidé un jour de délaisser l’expertise comptable au profit de la magie, c’est parce que ces deux métiers m’ont paru rapidement incompatibles. La magie nécessite en effet beaucoup de temps, pour ne pas dire tout son temps. Je n’ai pas eu alors le sentiment de choisir la facilité, et encore moins l’oisiveté. Je ne compte plus les heures, les jours et les nuits que je passe à tenter de mettre au point un spectacle puis à le commercialiser. Suis-je le seul dans ce cas ? Otto Wessely à Patrick Sébastien : « Nous (les magiciens) on met parfois cinq ans pour mettre au point un numéro de dix minutes. » « Le talent, on en a ou on en n’a pas » D’après le Larousse : - Talent : aptitude naturelle ou ACQUISE pour faire une chose -  
Jacques Brel aimait à répéter que le talent naissait avec « l ’envie » ; moteur principal du travail.
Tout s’apprend et s’améliore : la mise en scène, la parole, le regard, le maintien, le sourire, la passe secrète etc. Aucun cas n’est désespéré tant que subsiste l’envie. Reste, il est vrai, une injustice certaine : nous n’apprenons pas tous à la même vitesse, ni avec les mêmes professeurs…
Quelques artistes garderont toujours cette coquetterie suprême: « je n’ai jamais fourni le moindre effort, c’est naturel » On peut toujours rêver. D’autres, à l’instar de Norbert Ferré, nous rappellent en toute simplicité, combien ils ont travaillé.

« La magie est un art et qui dit art, dit "habileté à réaliser quelque chose". »
- L’art est davantage: c’est l’expression par l’œuvre d’un idéal de beauté. Habileté et technique ne suffisent pas à transmettre l’émotion. La magie seule, reste au mieux un simple art d’agrément. La danse, la poésie, la musique et le théâtre contribuent à l’élever. La peinture quant à elle, embrasse directement les beaux-arts.

Que veut donc alors dire « professionnel » ?
Au sens strict du terme, c’est « celui qui fait d’une chose son métier ». Point. Cela ne préjuge en aucun cas de la qualité de son travail. Quelle soit réussie ou pas, une tarte aux pommes ne me donnera jamais le statut de pâtissier. Ce n’est pas mon métier. Tout simplement.

« Contentons-nous d'essayer d'être artiste »
- Cette conclusion déroutante mais si juste, ruine ipso facto vos efforts d’analyse. L’important n’est en effet pas de savoir ce qui sépare l’amateur du professionnel, mais bien d’appréhender « ces pulsions qui nous donnent l’envie d’être artiste ».

Je ne peux terminer sans vous avouer à présent ce qui me dérange: vous avoir écrit ces quelques lignes contradictoires… Je connais parfaitement comme beaucoup, votre dévouement, votre générosité et votre passion pour la magie. Tout cela m’inspire un sincère et profond respect.
Du coup, j’ai une faveur à vous transmettre : s’il vous plaît, monsieur Laurini, ne me tenez pas rancune.

Chiche !

Saroyan

 

Bonjour Saroyan,

Je te remercie de ton mail que j'ai lu avec beaucoup d'intérêt et que j'ai particulièrement apprécié. Je comprends ton grand désarroi et en relisant la dernière phrase de ton courrier, je tiens à te rassurer : Pas de rancune, bien au contraire, ce n'est pas mon objectif ! Chacun doit pouvoir s'exprimer et chacun doit pouvoir répondre à l'autre sans animosité. Le but est de partager un peu de magie et d'amitié, même si le facteur déclenchant apparaît sous forme de mots (maux), ce qui semble acide aujourd'hui peut nous aider à avancer un peu. J'aime bien écrire et écrire ce que je pense, libre à chaque lecteur d'interpréter suivant sa position. Quoi qu'il en soit, tu as pris la peine de me passer un courrier, j'en déduis que tu as jeté un coup d'œil sur ce que l'on fait et je suis sûr que tu attends maintenant le prochain éditorial du numéro de septembre qui traitera de… la magie de rue ! Je ne passe pas de pommade et si j'ai choisi des sujets à écorcher, c'est bien intentionnel. Je pense que je serai moi aussi écorché par d'autres et que c'est un moyen comme un autre de s'exprimer et qu'il faut respecter.

Je te transmets mon amitié.


Didier Laurini

 

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