:: RÉPONSE
à "POURQUOI LA MAGIE
N'EST PAS UN MÉTIER" ::
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Dans
votre article "Pourquoi la magie n'est
pas un métier" , vous portez un regard pessimiste sur l'état
de la reconnaissance sociale de la magie. Certains constats vous
ont inspiré cette réflexion et vous désignez des responsables:
les marchands qui proposent des tours "facile à faire… à
la portée de tous, etc...", et certains professionnels qui
ont pour unique vocation l'accès au statut d'intermittent du
spectacle.
A
mon avis, les marchands font leur métier de marchand en profitant
de la curiosité humaine et ceci ne peut pas leur être reproché.
Quant aux intermittents, le droit du travail institue la présomption
de salariat chez les artistes, ce qui leur confère les mêmes
droits et les mêmes devoirs que tous les salariés. Ce système
profite à tous les professionnels, aux "vrais", comme
aux profiteurs qui s'y engouffrent uniquement afin de résoudre
leurs problèmes de survie personnelle. Ces profiteurs sont méprisables,
mais je pense qu'ils existeraient quel que soit le cadre juridique
permettant de vivre de ce qui devrait être, vous serez d'accord
avec moi, une vocation. Je ne crois pas que les solutions réglementaristes
que vous préconisez empêcheraient le commerce racoleur, ni
qu'elles pourraient empêcher les profiteurs de tout système de
travailler dans le non respect des règles.
Par
contre, je crois à l'initiative individuelle : l'initiative de
chaque magicien porteur d'un projet artistique à aller à la
rencontre du public, celui qui aime le spectacle vivant.
L'initiative de chaque magicien à défendre son projet auprès
des diffuseurs de spectacle, des directeurs de salle, des
responsables culturels, des présidents d'associations afin de
montrer que la magie peut être ce qu'elle doit être : un beau
spectacle plein d'émotion et non pas une démonstration d'effet
spéciaux. L'initiative de chaque magicien a mettre en avant sa
propre originalité afin de ne pas être réduit à une attraction
anonyme, interchangeable avec une autre attraction anonyme au même
tarif, sur un catalogue d'agence spécialisée dans l'événementiel.
Je crois aussi à la valeur du travail, aux échanges, au débat.
J'ai
cru comprendre en me promenant sur le site de l'Escarboucle que
ces valeurs étaient aussi les vôtre, ce qui m'a décidé à vous
écrire. Merci pour votre dévouement.
François
Lenoble
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Cher
François,
Tout d'abord, je te remercie de ta longue lettre que j'ai lue avec
beaucoup d'attention et à laquelle je vais répondre au mieux.
Oui, je porte un regard pessimiste sur la magie d'aujourd'hui, car
les magiciens et les syndicats n'ont pas su mettre en place un
système d'existence légale et administrative de notre art. Je
veux dire par là, la reconnaissance officielle de notre activité
par un véritable diplôme, avec des progressions dans les compétences,
un système d'éducation et de formation comme dans TOUTES les
autres corporations. Cette reconnaissance permettrait de
travailler dans des conditions normales, avec un salaire minimum
et surtout en utilisant des compétences reconnues et démontrées
devant le système éducatif national qui est le seul à faire
autorité.
À la place, nous avons un système qui encourage tout acheteur de
trois tours automatiques dans n'importe quel magasin de farces et
attrapes, à postuler pour acquérir le statut d'intermittent et
à percevoir une rente mensuelle contre la déclaration de 46
spectacles l'an ! Si cette caisse venait à disparaître et si les
intermittents ne percevaient plus cette rente, qu'en serait-il de
la magie ? Les marchands de trucs qui étaient des marchands de rêve
sont devenus des marchands tout court ! Bien sûr que leur activité
est de vendre par tous les moyens, mais si nous avons plus de
trois cents magasins de trucs en Europe aujourd'hui, est-ce bien
raisonnable ? Pourquoi certains magasins de magie très connus
ont-ils fermés ? (Le Sphinx, Supreme Magic Co, Henry Mayol…).
Le statut d'intermittent devrait être réservé au vieux
magiciens qui ne sont plus en mesure d'assurer leur spectacle. Ce
ne sont pas les intermittents qui font rayonner la magie dans le
monde d'aujourd'hui, ce sont les amateurs ! Quand on prend la
mesure de l'efficacité de la caisse des congés spectacle, on a là
une représentation très imagée de ce que sera la magie de
demain pour les professionnels et je ne cite que cet exemple, car
nous pourrions également parler du Griss et des conditions de
reversement des retraites ! Être professionnel et être
intermittent sont deux choses bien différentes ! L'intermittence
étouffe la magie lentement et les magiciens qui en bénéficient
sont plus en soucis du versement mensuel de leur rente que de leur
profession. Pour preuve, certains n'hésitent pas à remplir de
fausses déclarations pour avoir leur cota (j'ai des noms !).
Lorsque tu soulignes dans ton courrier les initiatives
personnelles et le travail individuel, tes mots sont chargés d'un
grand optimisme ! Mais aujourd'hui, les initiatives personnelles
ne peuvent prendre forme que si elles sont appuyées par un
travail collectif ! Le travail individuel ne sera jamais reconnu
à sa juste valeur ! Prenons pour exemple Francis Tabary qui a
travaillé dans l'ombre pendant plusieurs années avant de révéler
au monde magique son œuvre. Francis a été victime de dénigrements
alors que tous les magiciens du monde qui pratiquent la magie des
cordes, utilisent ses passes et ne prennent même pas le soin de
citer son nom quand il vendent ce même numéro ! Par contre, le
travail collectif sera toujours salué d'une autre manière,
prenons pour exemple les concours de nos congrès. Nous faisons
rapidement la différence entre un travail de groupe et un travail
personnel.
Tant que les magiciens ne penseront que par l'individualité, ils
seront limités à copier les effets faciles. Le jour où ces mêmes
magiciens acceptent de travailler en groupe (chaque élément du
groupe donnant le meilleur de lui-même dans un domaine de compétence
qui lui est propre), alors là, leurs tours de magie deviennent véritablement
un art. Tant que les magiciens ne penseront que par l'individualité
du confort apparent de l'intermittence (mon voisin touche les
Assedic alors pourquoi pas moi ?), ils n'auront pas préparé leur
avenir sérieusement, ni celui de leurs descendants en magie. Le
jour où ces mêmes magiciens accepteront de travailler en groupe
et de mettre en place un système éducatif bien étudié, la
magie aura une autre crédibilité et les magiciens la
reconnaissance d'appartenir à une corporation structurée avec
des droits et des devoirs.
J'espère que maintenant tu y vois plus clair dans ma manière de
voir les choses. J'au tout fait depuis presque 15 ans maintenant
pour qu'à Poitiers, les magiciens amateurs et professionnels de
nos deux cercles évoluent ensemble et gardent un esprit de
respect et de partage. Je suis fier de la qualité de nos échanges
et je souhaite que toutes les amicales travaillent dans le même
sens, que tous les meneurs prennent l'objectif majeur de l'union
pour l'évolution et qu'un jour, unis et forts, nous puissions
mettre en place les structures vraies de cet art qui nous
passionne, afin que nous soyons légalement reconnus.
Te remerciant encore d'avoir pris la peine de t'exprimer, je te
transmets mes amitiés.
À bientôt peut-être.
Didier
Laurini
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